jeudi 1 novembre 2012

JOURS DE DESTRUCTION, JOURS DE REVOLTE

Publié en novembre 2012 par les éditions Futuropolis dans un format cartonné en noir et blanc, ce comic book de plus de 300 pages contient textes, illustrations et bande dessinées, le tout scinder en cinq chapitres :
- Le temps des spoliations,
- Jour de siège,
- Le temps de la destruction,
- Le temps de l'esclavage,
- Jours de révolte.

Les auteurs oeuvrant ici sont Chris Hedges (L'empire de l'illusion) et Joe sacco (Le jour où... , Reportages, Gaza 1956). Engagés et réalistes, ils nous parlent d'abord de l'histoire de leur pays mais, attention, cette BD nous parle d'une Amérique qui n'est pas celle que visitent les touristes ! 


Hedges et Sacco décrivent avec justesse, grace à des témoignages, des livres et des enquêtes, le génocide des Amérindiens et leur calvaire actuel. Sans racines, vaincus, on y apprend (ou redécouvre) que dans les réserves indiennes, il existe énormément d'alcooliques. L'alcool amène son lot de violences et de déchéances. Les auteurs comparent l'ancien mode de vie des Indiens et celui des colons basé sur un capitalisme toujours plus poussé vers le profit et la déshumanisation, un capitalisme qui pousse toujours vers plus de consommation et cela dans "un monde finit"... 
 

Traduction : Sidonie Van Dries (bd) et Stéphane Dacheville (texte)
 

Bonus : L'ouvrage contient une préface de Chris Edges, une page sur les divers constats officiels concernant l'Amérique, des pages contenant des citations et des poèmes, des pages de notes, un texte de plusieurs pages de remerciements et une bibliographie.
 

Les (nombreuses) phrases et passages qui ne devraient pas vous laisser indifférent :
"Etrangement, cette idée fixe qu'ils ont de posséder et de labourer la terre est un mal qui les ronge de l'intérieur, a dit Sitting Bull. Ces gens ont établit des règles que les riches peuvent enfreindre, mais pas les pauvres. Dans leur religion, les pauvres vénèrent Dieu, mais pas les riches ! Ils prélèvent la dîme sur les miséreux et les faibles pour subvenir aux besoins des riches et de ceux qui gouvernent. Ils soutiennent que notre mère à tous, la Terre, leur appartient exclusivement, mais ils édifient partout des clôtures et la défigurent avec leurs bâtiments et leurs détritus."
 

"Les coups portés à culture amérindienne ne prirent pas fin avec l'installation forcée des Indiens dans les réserves, lesquelles étaient, par essence, des camps de prisonniers de guerre."
 

"Alors que Joe et moi sommes en ville, un policier de Candem surnommé "Fat Face" et plusieurs de ses collègues sont reconnus coupables par le grand jury du tribunal fédéral, d'avoir glissé en douce de la drogue dans les poches de suspects, d'avoir obtenu des informations de prostituées contre de la drogue, d'avoir falsifié des rapports de police, d'avoir frappé des suspects, et enfin d'avoir effectué des fouilles corporelles sans mandat." J'ai adoré ce passage qui m'a rappelé la série Shield, une série chère à mon coeur.
 

"Cette connivence entre les sphères politique et économique fait qu'Etats et gouvernement fédéral sont contrôlés par l'élite du grand patronat."
 

"... mais les enfants d'hier n'avaient pas conscience d'être dans la misère. ... Un gamin de 17 ans regarde la télé et se dit : Eux, ils ont tout alors que moi, je n'ai rien. ... Cette frustration peut se transformer à tout moment en une colère incontrôlable. ... Le matraquage publicitaire y est pour beaucoup. ...."
 

"Vous êtes tous au courant pour les attentats du World Trade Center, pas vrai ? Tout le monde sait qu'ils ont fait 3000 morts. Mais est-ce que vous savez qu'à cause des particules de charbon 24000 personnes meurent tous les ans dans notre pays ? C'est huit fois plus que le World Trade Center et personne n'en parle. 640000 bébés naissent prématurés ou avec des malformations chaque année et y'en a pas un qui bouge le p'tit doigt ! Faire du fric, c'est plus important que la santé des gens."
 

"L'orgueil démesuré dont fait preuve l'espèce humaine en pillant sans cesse les ressources naturelles et en refusant obstinément de prendre en compte les signaux envoyés par la planète causera notre perte à tous."
 

"Une lutte peut être morale, physique, ou les deux à la fois, mais elle doit exister. Les puissants ne concèdent rien sans qu'on l'exige. Ils ne l'ont jamais fait et ne le feront jamais. Trouvez la limite de ce que tout peuple peut endurer sans rien dire, et vous prendrez la mesure exacte des injustices et des maux que vous pourrez lui imposer sans qu'il vous résiste par le verbe et le poing, voire les deux. Les limites des tyrans sont fixées à l'aune de l'endurance de ceux qu'ils oppriment."
 

"Dans une production industrielle globalisée, le facteur déterminant est la pauvreté. Plus le travailleur et les pays sont pauvres, plus grande est la compétitivité des entreprises. Celles-ci, en ayant accès à d'immenses réserves de travailleurs désespérés et misérables, ne sont plus génées par les  syndicats ou des réglementations restrictives. Elles peuvent à loisir assouvir leur quête effrénée de profits et, quand elles n'ont plus besoin de cette main d'oeuvre, s'en débarrasser en l'abandonnant à son triste sort."
 

"S'ils sont chez nous, ce n'est pas par goût de l'aventure. Mais parceque dans leur pays, des patrons profitent qu'ils soient pauvres pour les forcer à travailler comme des bêtes de somme. Voilà pourquoi ils quittent leur patrie."
 

"Allez voter à nos élections truquées, où c'est chaque fois Goldman Sachs qui gagne. Envoyez vos jeunes se battre et mourir dans des guerres inutiles et perdues d'avance, mais qui rapportent très gros aux industriels de l'armement. Restez muets lorsque nos législateurs suppriment un à un les services publics fondamentaux. Laissez faire les criminels de Wall Street : vous payerez plus tard à leur place."
 

"Elles (les grandes entreprises) n'oeuvrent pas pour le bien du pays : Le capitalisme n'a pas de patrie."
 

"... : la gigantesque bureaucratie sécuritaire mise en place au nom de la guerre contre le terrorisme est l'instrument dont se servira l'Etat pour nous soumettre. ... L'Etat peut désormais refuser à des citoyens américains soupçonnés "d'activités terroristes" le droit à un procès équitable. Il les remet à l'armée qui les garde prisonniers indéfiniment, sans chef d'inculpation précis et sans l'assistance d'un avocat." (Il s'agit de la NDAA : National Defense Authorization Act) D'après, ce qui est écrit, elle pourrait faire l'objet "de dérive" en cas de révolte afin de mater les mutins car elle a été voté 10 ans après le début de la guerre contre le terrorisme.
 

"La première semaine, des flics sont entrés dans le camp et ont lancé des gaz lacrymogènes sur des femmes enceintes, raconte Ketchup. Ils espéraient sans doute provoquer une émeute. Bien sûr, nous n'avons pas bougé. Réprimer une émeute, c'est dans leur corde. Mais face à des manifestants non violents équipés d'appareils photo, ils sont complètement perdus."
 

"La culture d'entreprise est au service d'un système sans visage. ... un gouvernement qui n'est exercé par personne, et qui, pour cette même raison, est probablement la forme de gouvernance la plus inhumaine et la plus cruelle qui soit."(Hannah Arendt)
 

La terre de ce pays souffre aujourd'hui. Il y a aussi les délocalisations vers des pays, où la main d'oeuvre est surrexploitée (si vous saviez comment vos Iphones et vos Ipads sont fabriqués, vous réfléchiriez peut-être avant de les acheter). La désertification des villes, le nombre de SDF toujours croissant, l'esclavage moderne, la drogue et bien d'autres encore, un maximum de thèmes y passent. Les auteurs pensent qu'une révolte pourrait bien naître. Si certains convoitent le rêve américain, cette BD pourrait bien les dissuader de faire le voyage... En quelques siècles, la situation écologique de ce pays s'est considérablement dégradé. Des contrées entières ont été dévasté suite à des déforestations, des recherches de charbon ou de gaz. La question est : Combien de temps cette terre pourra-t-elle encaisser l'exploitation infernale de ses ressources ? On en vient à se demander ce que "le nouveau monde" aurait pu devenir s'il était rester entre les mains des Indiens...
 

Conclusion : Il vous faudra de nombreuses heures pour en venir à bout mais nul doute que vous dévorerez cet ouvrage. Sachez que si cette année vous ne vous êtes pas penché sur les sorties du côté de Futuropolis, vous avez raté un bon nombre de bd d'un grand acabit ! 
Tout comme Un printemps à Tchernobyl, Jour de destruction, Jour de révolte est un témoignage.
Jour de destruction, Jour de révolte est passionnant et sans conteste indispensable ! Un prix devrait se profiler à l'horizon à mon avis. Après l'avoir lu, vous regarderez l'Amérique différemment.

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